30(1) - 2018

Houbert, Frédéric (2015). Dictionnaire de terminologie juridique – anglais-français. Paris : La Maison du dictionnaire.

Compte rendu par Jean-Claude Gémar

Les dictionnaires bilingues ont mauvaise réputation chez les traducteurs, méfiants à leur endroit, le plus souvent à juste titre. Les traducteurs savent d’expérience qu’il est souvent préférable de consulter deux bons dictionnaires unilingues, quelle que soit la paire de langues en cause, de préférence à un dictionnaire bilingue et, pis, multilingue, parce que le risque s’accroît à proportion du nombre de langues. Non que les dictionnaires bilingues soient mauvais par nature, soient mal faits ou entachés d’erreurs, chose toujours possible. Il en est de fort bons, dont, pour l’anglais et le français, les Harrap’s, Robert & Collins dont la réputation n’est plus à faire. Néanmoins, le défaut inhérent au dictionnaire réside dans sa nature et sa fonction mêmes. Dès sa parution, il affiche déjà un certain retard sur la vie, l’activité et la production de la communauté linguistique visée. Si tous n’en meurent pas, tous sont inévitablement frappés, les dictionnaires de langue généraux en particulier. Les ouvrages bilingues en sont doublement atteints.

Les dictionnaires spécialisés, eux, vieillissent moins rapidement, encore que le domaine en cause y soit pour beaucoup : le langage de la physique et de la chimie, ou des mathématiques, vieillit sans doute moins vite que celui des sciences humaines et sociales. À l’image que l’on se fait du monde des juristes, la langue du droit est réputée conservatrice, et même archaïque. Or, le langage du droit évolue avec la société, lui emboîtant parfois le pas. Des expressions et des termes nouveaux apparaissent, d’autres disparaissent ou tombent en désuétude. Aussi est-il bon de s’en tenir, dans ce domaine, aux quelques ouvrages qui se distinguent par des qualités absentes ou rares chez d’autres. Ce souci est particulièrement cher aux traducteurs et aux langagiers de cette espèce. S’agissant du français juridique, la référence obligée est « Le Cornu », patronyme de l’éminent civiliste qu’était le doyen Gérard Cornu, à qui l’on doit le Vocabulaire juridique, incomparable compagnon de travail du juriste comme du traducteur en quête d’une définition d’un terme ou d’une expression juridique claire, précise, souvent élégante. L’anglais n’a rien à nous envier qui possède sa part de nombreux et bons dictionnaires de droit. Mais pour ce qui est des ouvrages lexicographiques bilingues anglais-français dans le domaine juridique, les Doucet, Quemner et autres dictionnaires bilingues du genre ont vieilli. Ils sont remplacés par les banques de données terminologiques bilingues et multilingues, qui brassent les termes par millions et peuvent être mises à jour régulièrement. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Chacun ou chacune y trouvera son compte. Reste qu’à notre époque, l’obligation de résultat, obtenu au terme le plus court possible (à la vitesse de l’éclair informatique), prime la réflexion au moyen et au long terme, soit « l’interprétation » du sens et la supputation de l’équivalence par voie d’analyse et de réflexion. Ce qui demande du temps, comme la consultation des dictionnaires, sur papier ou écran. Un mot, un terme, présenté sans contexte et sans notion, ne porte que sa signification, il est en manque de sens. La banque de terminologie, le lexique ou le vocabulaire bilingue qui ne présentent qu’un terme et ses éventuels équivalents n’en peuvent mais...

En revanche, si vous cherchez un dictionnaire conçu pour les traducteurs par un traducteur émérite, au fait des difficultés et des écueils de la traduction juridique (entre l’anglais et sa common law et un français pétri de tradition civiliste) et sachant les circonscrire, les expliquer, ne cherchez plus, il est tout trouvé : on le doit à Frédéric Houbert. Son Dictionnaire de terminologie juridique – anglais-français est appelé à devenir votre fidèle « Compagnon du traducteur », dans la vénérable tradition de l’Oxford Companion to... Et cela, pour au moins deux raisons principales qui tiennent à la forme, la présentation conviviale de ce dictionnaire, et à son contenu, sa substance. Mais il y a plus encore : il offre trois livres en un !

Premièrement, il s’agit d’un dictionnaire bilingue (anglais-français) des termes du droit. Il sort de l’ordinaire en présentant leur traduction assortie de commentaires judicieux lorsque la difficulté, la singularité du terme ou de l’expression, de la notion portée, le justifie. Deuxièmement, ce dictionnaire est aussi un ouvrage de droit comparé en ce qu’il apporte de nombreux extraits, citations et renvois qui présentent, à la façon du Bon usage, une synthèse du pour et du contre de la question juridique en cause, souvent envisagée de façon comparée. Troisièmement, nous avons affaire à un ouvrage de « stylistique comparée » qui fait œuvre normative en recommandant à l’usager tel emploi ou usage, en dénonçant tel autre (anglicismes, pléonasmes, solécismes, etc.) ou en suggérant une solution éventuelle au cas par cas (périphrase, synonyme, reprise du terme étranger, etc.). L’ensemble repose en bonne part sur les solides fondations que constituent les institutions, jurisprudences, ouvrages et auteurs des meilleures références disponibles où l’auteur a puisé, et ce dans les deux langues et systèmes juridiques.

1. Le dictionnaire bilingue de termes juridiques

La vocation première du Dictionnaire de terminologie juridique – anglais-français est, comme l’auteur le souligne dans son Avant-Propos, « d’apporter au traducteur des solutions de traduction concrètes et "prêtes à l’emploi" » (p. 6). Et des solutions, il y en a par centaines, le dictionnaire contenant quelque 2500 entrées et notes explicatives. De quoi satisfaire le public le plus exigeant. L’originalité de ce dictionnaire réside non seulement dans le nombre de termes présentés, mais encore dans le choix de l’auteur d’y avoir introduit des termes et expressions peu courants, absents de la plupart des ouvrages du genre « ou dont les traductions laissent à désirer » (p. 6). En outre, les vedettes portent sur de nombreux domaines du droit – privé, public, international –, avec des particularités nationales (Afrique du Sud, Australie, Canada, Écosse, États-Unis, Irlande, Royaume-Uni).

Un autre intérêt de ce volet du dictionnaire tient non seulement aux traductions des termes les plus « courants », qui n’en sont pas moins complexes (v. act – N. B., p. 13 ; copyright, pp. 76-77 ; due process, pp. 104-105 ; law et sa nombreuse famille, pp. 185-186), qu’aux termes et expressions moins ou peu courants, dont les nombreuses formules latines (v. fieri facias, p. 126 ; injuria sine damno, p. 160 ; quia timet, p. 255 ; subpoena duces tecum, p. 294 ; sua sponte, p. 291), chères à la common law et qu’il est néanmoins utile de connaître ; sans oublier les formules familières (v. cat out of the bag, p. 52 ; make my day law, p. 195) ou imagées (v. blue-pencil rule, p. 43 ; poisonous tree doctrine, p. 238 ; shotgun instruction, p. 283 ; sunshine/sunset law, p. 298) et les innombrables sigles (ASBO, CISG, DMCA, EEOC, SOCA, etc.) qui meublent les textes juridiques. On y trouvera également des suggestions et conseils pour rendre des mots et expressions apparemment anodins (and/or, from time to time, said ou shall et may, whether), moins simples qu’ils ne le paraissent... La vedette est souvent accompagnée d’exemples probants de traductions venant d’institutions, organismes et juridictions nationaux et internationaux (v. liste p. 10), offrant ainsi un contexte qui éclaire la signification du terme et justifie sa traduction in casu (p. ex., challenge, p. 55). Frédéric Houbert s’est aussi colleté avec une difficulté que connaissent bien les traducteurs de l’anglais au français (ou à d’autres langues) et qui consiste, pour les common lawyers, à recourir à des doublets et des triplés, des synonymes et des verbes en cascade (p. ex., all and singular, by and under, each and every ; cancel, annul and set aside ; ordered, adjudged and decreed), quand nombre d’éminents juristes et linguistes anglophones condamnent fermement cette pratique (v. p. 183, les Mellinkoff, Garner et al.). Il existe des solutions, qui ne sont pas de suivre servilement la formulation anglaise, mais de l’adapter à l’espèce.

Ce qui pose plus ou moins directement la question du droit, que l’on ne saurait ignorer dans un dictionnaire de terminologie juridique, unilingue, bi- ou multilingue.

2. Le dictionnaire de traduction juridique et le droit

La traduction juridique ne peut se concevoir sans une forte présence du droit, et même du droit comparé puisque le traducteur doit y recourir constamment, ne serait-ce que pour comprendre le message juridique afin de le reproduire le plus fidèlement possible dans son texte d’arrivée. À cet égard, on évoquera l’obligation de moyen(s) du traducteur afin d’atteindre un résultat satisfaisant (sa deuxième obligation). Le dictionnaire qu’a produit Philippe Houbert regorge de notions, d’explications et commentaires de nature juridique qui témoignent éloquemment de sa connaissance intime des notions et concepts juridiques que doit traiter le traducteur au quotidien. En fait, chaque terme, chaque expression que contient ce dictionnaire requiert l’éclairage du droit. Sinon, comment arriver à traduire la locution adverbiale jointly and severally (formulation très critiquée) par « solidairement » (et non par « conjointement et solidairement ») sans avoir, au préalable, saisi le principe de la solidarité des débiteurs du droit civil ?

Quant à l’expression terms and conditions, comment peut-on la rendre simplement par « conditions » (ou encore, selon le contexte, par « modalités », « stipulations », etc.) si l’on n’a pas préalablement comparé et analysé les deux « termes » que sont term et condition pour se rendre compte, avec Garner, que « terms is sufficient » (pp. 302-303). L’adjectif reasonable qui, à lui seul, demanderait un traité de droit, peut se rendre, en français, de six ou sept façons selon le contexte de son emploi (pp. 257-258). L’institution remarquable qu’est le trust demande à l’esprit civiliste de se faire violence pour admettre que, dans ce type très particulier d’accord, interviennent deux systèmes de droit différents, celui de la common law et celui de l’Equity, qui, paradoxalement, ont fusionné de longue date (1875). Pas simple. Sa traduction, non plus. Au Canada, c’est la « fiducie » qui est dans l’usage juridique, qu’il ne faut pas confondre avec la « fiducie » française (elles n’ont rien à voir). On conseille alors, selon la situation juridico-linguistique en jeu, de ne pas traduire trust pour éviter les quiproquos. Mieux vaut un calque ou un emprunt qu’une mauvaise traduction.

On pourrait multiplier les exemples à loisir, parler du principe de rule of law et de « l’État de droit » (aussi : règle de droit), notions qui justifient un commentaire explicite et les points de vue opposés sur la question (pp. 274-275) ; traiter le terme public policy et « ordre public » pour mettre en garde l’imprudent qui se risquerait à dire « politique publique » (qui justifie 3 pages de commentaires : pp. 250-252) ; ou encore le piège de la question de la « bonne foi » (v. good faith, p. 141), ou celle de l’incontournable jurisdiction, avec ses multiples composés (pp. 173-175), là où l’anglais et le français se rejoignent puisque ce terme d’ancien français (1209, Trésor de la langue française) a été introduit en moyen anglais entre 1250 et 1300 (Oxford Dict., Random House Dict.).

Une telle multiplication risquerait de lasser le lecteur pressé, comme le sont les traducteurs. Laissons-leur le loisir de la découverte, au hasard de leur lecture personnelle, et passons au volet « stylistique comparée » du dictionnaire.

3. Un dictionnaire de « stylistique comparée » de l’anglais et du français

Ce titre rappellera aux traducteurs celui d’un célèbre ouvrage ayant fortement contribué à leur formation linguistique. Le dictionnaire de Frédéric Houbert n’est pas à proprement parler un « dictionnaire de stylistique comparée », mais il emprunte constamment cette voie et sa démarche, qui sont aussi celles d’un enseignant et d’un pédagogue. Plus que bien d’autres langues, le français tient à l’usage, et même au « bon usage », ainsi que le qualifiait Beauzée dans L’Encyclopédie : « Ce n’est pas précisément de l’usage des langues qu’il est difficile & rare de se former une idée exacte, c’est des caracteres du bon usage & de l’étendue de ses droits sur la langue 1 . » Ce principe, aussi délicat et subjectif soit-il, est impératif en droit, dont les mots doivent rendre le son juste, clair et précis du chant du droit, de son souffle, et cela par l’usage, « le maître des langues », ainsi que le qualifiait Vaugelas 2 .

Ce principe est une des lignes directrices que F. Houbert suit tout au long de son dictionnaire. Ses commentaires et les citations qu’il propose donnent le ton juste du discours du droit. On trouvera, entre autres, des notes sur l’emploi de tel ou tel terme (p. ex., la comparaison entre « déclaratif » et « déclaratoire », p. 90 ; celle de l’anglicisme « éligible » vs « admissible ») ; le sujet des « faux amis », si courant entre l’anglais et le français, mais si critique en droit, n’est pas ignoré (v. legal et ses trois acceptions, p. 188 ; redaction / to redact et « rédaction », p. 260). La confusion des termes est aussi une cause de maladresse voire d’erreur fréquente lorsque l’on parle, par exemple, de la fin d’une convention et que, contrairement au français, l’anglais n’utilise que termination (v. ce terme, p. 303) pour l’exprimer. La traduction de (to) set aside peut donner lieu à des traductions erronées si l’annulation en cause est soit une « infirmation », soit une « cassation » (p. 280). On retiendra aussi avec profit la nuance qu’impose « vexatoire » par rapport à « frustratoire » (p. 323). Autant d’occasions d’erreurs, de quiproquos et d’autres incongruités (v. le pléonasme « preuve probante », p. 66)...

Ce ne sont que quelques exemples parmi les nombreux autres qui sont présentés, à chaque page ou presque du dictionnaire. Ils ne font que renforcer la conviction qu’avec cet ouvrage polyvalent à ces trois titres, l’on a affaire à un outil de travail et d’approfondissement des connaissances du traducteur juridique hors du commun. Cela parce qu’il conjugue habilement le droit et la langue, soit la « jurilinguistique ». Et c’est bien de l’œuvre d’un « jurilinguiste » qu’il s’agit ici, laquelle, espérons-le, n’a pas fini de faire des émules et des adeptes.

1. Le grammairien Nicolas Beauzée est l’auteur de nombreux articles de l’Encyclopédie, portant sur la langue et la grammaire. Voir : Diderot, D., & Alembert, J. Le Rond d’ (1751-1772). Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Paris (t. 17, s. v. USAGE (Gram.), p. 516).

2. Cité par Beauzée avec cette référence : Remarq. pref. art. ij. n. 1.

DOI 10.17462/para.2018.01.12

21 avril 2018
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