31(1) - 2019

Cordingley, Anthony & Frigau Manning, Céline (Eds.). (2017). Collaborative Translation – From the Renaissance to the Digital Age. London: Bloomsbury

Compte-rendu par Mathilde Fontanet

 

Objet et enjeux

Cet ouvrage de quelque 245 pages, publié en langue anglaise, offre un panorama éclairé des divers aspects de la traduction collaborative à travers les âges dans le domaine littéraire.

 

Description du contenu

Dans leur chapitre introductif, Anthony Cordingley et Céline Frigau Manning se livrent à une riche réflexion sur le thème de la traduction collaborative sous une perspective tant historique que sociologique et soulignent que la traduction fait en règle générale toujours intervenir une forme ou une autre de collaboration.

La première partie de l’ouvrage porte sur des problématiques ou des textes liés à la Renaissance ou aux Lumières. Belén Bistué établit que, placée dans son contexte historique, la définition que Leonardo Bruni donne de la bonne manière de traduire semble exclure toute collaboration entre traducteurs, mais s’avère plus complexe qu’il n’y paraît. Françoise Decroisette, décrivant la réalisation d’un projet au cours duquel une vingtaine de personnes ont traduit 40 comédies de Goldoni au début des années 1990, expose la configuration particulière de la traduction théâtrale, qui s’insère dans une chaîne d’intermédiaires et doit prendre en compte, outre l’auteur et le lecteur, le metteur en scène et le spectateur. Le chapitre suivant décrit la méthode de traduction collaborative que Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini ont mise en place pour produire de nouvelles traductions françaises de Savonarole, Machiavel et Guichardin. Cette méthode repose notamment sur la lecture des textes à haute voix. Un outil informatique permettant de visualiser des segments de l’original en regard de leurs diverses traductions respectives y est également présenté.

La deuxième partie est consacrée à la collaboration entre traducteur et auteur, dont plusieurs contributions soulignent qu’elle n’est pas toujours bénéfique. Patrick Hersant y présente une typologique des échanges entre ces deux figures, allant de la situation où le traducteur a carte blanche à celle où l’auteur procède à une révision plus ou moins acharnée (en passant par une collaboration tout au long du travail et la préparation en amont, par l’auteur, de consignes à l’attention de ses traducteurs). Suivent deux chapitres richement documentés : l’un, d’Olga Anokhina, détaille les stratégies collaboratives (pour le moins interventionnistes) de Vladimir Nabokov pour les traductions de ses œuvres du russe à l’anglais et de l’anglais au français ; l’autre, de Céline Letawe, présente une méthode originale et féconde de Günter Grass, qui imposait aux éditeurs le financement de séminaires d’échanges réunissant l’auteur et ses traducteurs, dont le procès-verbal était ensuite envoyé aux traducteurs absents. Enfin, Abigail Lang offre une réflexion nuancée sur l’impressionnante activité de traduction collective de poésie contemporaine menée dans le cadre d’une cinquantaine de séminaires organisés entre 1983 et 2000 à l’Abbaye de Royaumont, dont le point de départ était toujours la lecture à haute voix des poèmes par leur auteur. Grâce à ces ateliers de nature expérimentale, qui ont eu une portée innovante, des poètes (et d’autres artistes) ont traduit en français quelque 90 poètes peu connus provenant de 35 pays et parlant au total 22 langues.

La troisième partie est consacrée aux contextes de collaboration. Anna Zielinska-Elliott et Ika Kaminkay décrivent la méthode de collaboration en ligne qu’appliquent les traductrices et les traducteurs de l’auteur japonais Haruki Murakami. Elle permet à un réseau informel de professionnels de s’échanger questions et réflexions sur la restitution de l’original dans leurs langues respectives. Grâce au fait que l’auteur n’y participe pas, ils peuvent se focaliser sur des questions de style et les nuances qui leur semblent les plus importantes. Miguel A. Jiménez-Crespo offre une typologie très complète des traductions relevant du crowdsourcing (qui implique de lancer un appel à des personnes prêtes à contribuer à des traductions sur le web) et établit leurs particularités par rapport aux autres types de traduction collaborative en ligne. Il donne également une vue d’ensemble des travaux de recherche pertinents et termine par une liste de questions très intéressantes, méritant d’être explorées. Gillian Lane-Mercier décrit l’évolution, les difficultés et les réajustements observés au fil des ans dans le cadre d’un programme instauré en 1972 par le Conseil des Arts du Canada pour financer des activités liées à la traduction d’œuvres littéraires afin d’assurer une diffusion équilibrée des littératures des divers groupes culturels du pays. Exploitant de nombreux documents d’archive, elle analyse les enjeux éthiques et politiques d’un type de collaboration particulier, qu’elle appelle « collaboration institutionnelle ». Enfin, Michael Cronin, soucieux d’agir pour lutter contre le changement climatique, envisage des formes de traduction collaborative susceptibles de respecter le principe de responsabilité collective. Il appelle à une « nouvelle écologie de la traduction » qui servirait les intérêts de la planète et non pas seulement ceux des êtres humains.

 

Appréciation critique générale

Nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage. Riche en informations, bien structuré et d’un intérêt certain, il est une lecture précieuse pour toute personne s’intéressant à la traduction en général et à la traduction collaborative en particulier. En constatant que bon nombre de chapitres ont été traduits en anglais par les soins de Nicholas Manning, nous nous félicitons que des auteurs de langue française puissent trouver des lecteurs dans le monde anglophone, mais nous réjouissons aussi à la perspective que les originaux de leurs textes puissent tous être publiés au profit d’un lectorat francophone.

Un ouvrage complémentaire, moins focalisé sur la traduction littéraire et contenant de très nombreux chapitres en français, a été publié récemment : Traduire à plusieurs / Collaborative Translation (sous la direction de Enrico Monti et Peter Schnyder, Orizons, 2018). Il fera l’objet d’un compte rendu dans un prochain numéro de Parallèles.

 

DOI 10.17462/para.2019.01.10