30(2) - 2018

Díaz Cintas, Jorge & Nikolić, Kristijan (dir.). (2017). Fast-forwarding with audiovisual translation. Bristol: Multilingual Matters.

Compte rendu par Yves Gambier

 

Depuis près de trois décennies maintenant, le nombre de publications en traduction audiovisuelle (TAV) s’est accru de manière quasi exponentielle – non sans répétitions sur les sujets, les approches. Au moins, cette quantité a pu asseoir la TAV comme matière à réflexion, à discussion, à formation. A-t-on pour autant progressé dans ce domaine, c’est-à-dire connait-on mieux, en profondeur, les divers défis à relever quand on produit, on regarde des sous-titres, des doublages, quand on vise à rendre accessibles films et autres programmes AV, conférences de presse, vidéo, quand on essaie d'améliorer la productivité des traducteurs avec divers logiciels, y compris de traduction automatique ? Chacun répondra différemment à cette question, selon ses attentes et besoins. La compilation d’articles dans un volume collectif n’aide pas nécessairement à dynamiser la TAV comme champ de recherche. Ne serait-il pas plus bénéfique d’avoir moins d’ouvrages mais à la cohérence thématique et méthodologique renforcée, avec questions et analyses plus ciblées (par exemple sur l’oculométrie ou la réception en TAV) ? De telles questions se posent à la lecture du livre Fast-forwarding with audiovisual translation dont le contenu d’ensemble ne coïncide guère avec le titre. Sous-titrage, doublage, sous-titrage pour les sourds et malentendants (SDH, en anglais) et audiodescription sont les modalités de TAV offertes à la lecture. Mais où sont les changements rapides annoncés ? Certainement pas en abordant la censure dans le monde arabe (ch. 3), la lente émergence du SDH en Turquie (ch. 10) ou encore en développant des études de cas plutôt conventionnels (ch. 2 et 6).

L’ouvrage est divisé en quatre parties, chacune regroupant de deux à quatre chapitres, permettant ainsi de sélectionner au mieux ses lectures – sur le transfert de langue et culture (partie 1), sur la réception, surtout de sous-titres (partie 2), sur l’environnement professionnel (partie 3) et sur la dimension pédagogique de l’audiodescription et du sous-titrage (partie 4). Le tout est précédé d’une introduction qui rappelle les facteurs de changement (surtout technologiques) qui affectent le paysage AV et la TAV.

Les 12 contributions, pour moitié descriptives et pour moitié expérimentales, recourent à des méthodes diverses : interview, questionnaire, oculométrie, comparaison textuelle, étude lexicographique… qui reflètent la pluralité des approches en TAV, appliquées ici à des contextes diversifiés. Avec toujours cependant ce tropisme national dominant : la plupart des 18 auteurs (dont cinq affiliés en Pologne et quatre en Italie) se préoccupent d’abord de ce qui se passe sur leur territoire, même si la production, la transmission, la distribution, la réception AV font de plus en plus fi des frontières nationales, comme d’ailleurs un certain nombre d’agences de TAV. Ainsi Netflix, pour ne prendre qu’un exemple récent, peut rendre les épisodes d’un talkshow en 20 langues en moins d’une trentaine d’heures, sans parler des communautés de fans. Seul le chapitre 1 dans l’ouvrage en recension traite de ce saut multinational et multilingue, passant d’une source culturelle indienne, en hindi, à la diaspora aux États-Unis, pour finalement être doublé en italien : de Bollywood à Hollywood puis à la version italienne, diverses contraintes appellent différentes distributions, diverses audiences attendent diverses accommodations. On est loin d’une confrontation binaire, avec une langue de départ et une langue d’arrivée, pour un public supposé homogène.

Une ultime remarque suscitée par l’ouvrage recensé : les travaux en TAV ont pris leur distance avec la spéculation et les jugements de valeur, au fur et à mesure qu’ils suivaient les exigences scientifiques. Mais la tentation demeure encore de formuler des recommandations (voir les chapitres 2, 8, 9, 11, 12). La collaboration entre les industries de l’AV et le monde académique est une nécessité pour analyser les pratiques réelles. Est-ce pour autant à la recherche d’élaborer des guides, des instructions, des normes pour les milieux professionnels ? Les chercheurs peuvent fournir des analyses fines, justifiées, fondées sur des principes scientifiques et produire ainsi des documents de travail utiles aux divers agents de la production AV, de la TAV. Mais la logique de la recherche ne peut se confondre avec celle du marché, celle des conditions de travail et celle des différentes corporations qui constituent la dynamique de la TAV. Cette tentation de donner des conseils de la part des universitaires dans leurs productions de recherche est sans doute un point faible qui mériterait davantage de réflexions sur le rôle de chacun et les enjeux de la recherche.
En un mot, l’ouvrage collectif, comme d’autres du même genre, se caractérise par un mélange de textes disparates dont je retiendrai, personnellement, surtout le chapitre 1, déjà mentionné (malgré ses généralisations hâtives), le ch. 4 (logiquement structuré) à propos de l’impact du changement de plan sur la relecture éventuelle des sous-titres. Je retiendrai aussi le chapitre 7 (novateur car très peu d’études existent aujourd’hui sur le processus de doublage analysé par oculométrie, et dont les résultats sont clairement mis en relation avec d’autres, acquis dans d’autres conditions) et le ch. 9 (en dépit de son formalisme statistique outrancier, basé finalement sur un corpus de 48 petites annonces publiées dans 16 pays).

DOI 10.17462/para.2018.02.08