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Gémar, Jean Claude & Ho-Thuy, Vo (2016). Nouvelles difficultés du langage du droit au Canada : dits et maux de Thémis. Montréal : Thémis. ; Lenoble-Pinson, Michèle (2014). Dire et écrire le droit en français correct : au plaisir des gens de robe. Bruxelles : Bruylant. ; Gilles, Raphaël & Breuil, Agnès (2011). Le français du droit (« Textes et activités » et « vocabulaire »). Genève : Schulthess.

Compte rendu par Nicolas Bühler

Langue juridique et traduction : ressources offertes par trois ouvrages

Le droit, de par sa fonction d’organisation et de protection (Cotta, 2015, p. 148), est l’un des rouages essentiels de la fine mécanique de la paix sociale. Partant, chaque société se donne des normes pour régir certains rapports juridiques (Perrin, 1997, p. 26) et garantir le respect de ses biens supérieurs et, par là-même, assurer sa cohésion. Elle le fait avec ses mots : certains relèvent du lexique commun, d’autres sont empruntés à ce dernier et utilisés dans une acception particulière, d’autres encore n’existent que dans le monde du droit (Lenoble-Pinson, 2014, pp. 11 sqq.).

Le droit est fait de règles et il doit être prononcé, l’équilibre et la préséance entre ces deux aspects divergeant selon les systèmes juridiques (droit civil ou common law), mais aussi selon les diverses branches d’un même système.

Dans les États où le droit est rédigé en français, il est fréquent que ce dernier ne soit pas la seule langue officielle : il est par définition tributaire d’une autre langue qui compte un nombre de locuteurs plus important. Comme la langue, le droit a une histoire ; comme elle, il est le reflet d’une tradition et d’une culture (Bocquet, 2008, pp. 69 sqq.).

Vu les difficultés susmentionnées (écarts matériels et temporels d’avec la langue dite courante, poids de la tradition juridique et possibles interférences avec la langue voisine), souvent combinées, comment comprendre et faire comprendre ce qui est dit ou créé par le droit, en un lieu donné et pour un destinataire déterminé ? De quels outils user pour garantir la qualité d’un texte ?

Ces questions sont abordées dans les trois ouvrages ci-dessus, visant à faciliter l’accès au langage du droit aux praticiens, juristes ou non-juristes – et parmi ces derniers, les traducteurs – de trois Etats où le français a statut de langue officielle et se trouve en minorité : le Canada, la Belgique et la Suisse. Visant en premier lieu à résoudre des questions pratiques, ces ouvrages offrent également des pistes de réflexion permettant au lecteur, souvent avec humour, de parfaire sa culture du phénomène juridique, notamment par des notions historiques et linguistiques permettant de dépasser le strict aspect technique ou la maîtrise de l’instrument de base (Lenoble-Pinson, 2014, p. 11).

Dans leurs Nouvelles difficultés du langage du droit au Canada, Jean-Claude Gémar et Vo Ho-Thuy s’appuient sur des éléments communs au droit et à la linguistique (la précision, l’his-toire, mais aussi le fait social) pour fournir un glossaire permettant à chacun, par un meilleur usage du français juridique, de pénétrer un peu plus au cœur des choses (Gémar & Ho-Thuy, 2016, p. XX). Les auteurs ne se contentent pas de dire ce qui est correct ou non, par exemple de dénoncer un calque et d’en exiger le bannissement : en indiquant les origines d’un mot, ils exposent les emprunts successifs de l’anglais au français et du français à l’anglais au fil des siècles. Ils montrent aussi qu’un emprunt à la langue voisine oblige ultérieurement à en consentir d’autres et, partant, exposent les procédés disponibles pour prévenir toute érosion de la langue sans sacrifier la précision et l’efficacité du propos (une consigne d’autant plus cruciale en matière de législation) (v. Gémar & Ho-Thuy, 2016, pp. 3-5, locution « à l’effet que » ; Lenoble-Pinson, 2014, p. 7). Et de conclure : lorsque la langue offre les outils nécessaires, servons-nous-en, d’autant que l’on a souvent l’embarras du choix (Gémar & Ho-Thuy, 2016, p. 5). On ne rappellera d’ailleurs jamais assez l’importance de passer sans cesse en revue l’éventail des solutions disponibles, quel que soit le domaine de traduction 1 .

Les auteurs attirent l’attention des non-juristes sur la nécessité d’appliquer dans chaque domaine du droit la terminologie adéquate, par exemple en rappelant la distinction entre les adjectifs délictuel et délictueux (d’étymologie commune, mais le premier relève de la responsabilité civile et le second, du droit pénal – Gémar & Ho-Thuy, 2016, pp. 152-154). Pointant des emplois malvenus (p. ex. dus à la confusion entre sécurité et sûreté, ou entre sentence et peine – Gémar & Ho-Thuy, 2016, pp. 519 sqq. et pp. 525 sqq.), ils rappellent l’origine de chaque terme et le contexte auquel chacun appartient. Le lien entre le droit, la langue et l’histoire constitue le fil rouge de cet ouvrage.

Le livre de Michèle Lenoble-Pinson a plutôt la nature d’un dictionnaire des difficultés spécifiquement destiné à des professionnels du droit, magistrats ou avocats, devant allier la technique juridique à une rédaction claire. L’auteure souligne qu’en dépit du caractère conservateur de la langue du droit, les praticiens sont contraints de s’adapter aux nouvelles réalités techniques ou sociales. Si des néologismes sont parfois nécessaires, elle appelle à la prudence avec les anglicismes, pour lesquels des équivalents français sont souvent disponibles (Lenoble-Pinson, 2014, pp. 12-13). Dans la pratique, il arrive toutefois que certains mandants non francophones interviennent pour les imposer dans les traductions françaises, estimant qu’ils sont plus précis ou simplement dans l’espoir qu’ils impressionneront plus le destinataire du texte.

L’ouvrage cite également de faux anglicismes, comme recordman ou recordwoman, ou encore pin’s (Lenoble-Pinson, 2014, pp. 636 et 554). Il mentionne également des paronymes, tels notable et notoire (p. 487), ou encore des québécismes, helvétismes ou belgicismes (grenailles errantes, p. 326). Les locutions juridiques latines y sont également bien représentées, mais la prudence est de mise car leur usage peut différer entre les ordres juridiques des pays francophones concernés.

Alors que ces deux premiers ouvrages sont en premier lieu destinés à des rédacteurs de langue maternelle française, le troisième a été conçu pour des juristes suisses germano-phones désireux de se familiariser avec la langue juridique française et de mieux la maîtriser.

À cette fin, Raphaël Gilles et Agnès Breuil (2011) ont conçu deux volumes : le premier présente des textes et des exercices rédactionnels, et le second présente le vocabulaire abordé dans chaque chapitre, en fournissant des exemples en contexte et leur traduction en allemand, sous forme de tableau. Les chapitres sont construits autour de grands thèmes juridiques et politiques : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, système de sécurité sociale suisse, institutions publiques, libertés fondamentales, mondialisation et diversité culturelle.

Les exercices proposés visent à étendre le vocabulaire en recherchant des synonymes et antonymes des termes figurant dans les textes, à utiliser l’acquis en rédigeant des définitions, à compléter des schémas, à rédiger de brèves prises de position sur des questions de principe, mais aussi à créer des champs lexicaux (Gilles & Breuil, 2011, vol. Textes et activités, p. 85, autour des termes jurisprudence et loi).

Ce livre peut renseigner un juriste germanophone sur les termes à utiliser en français ou l’aider à déchiffrer un texte, mais aussi, dans une moindre mesure, permettre à un francophone sans connaissances en droit d’aborder de manière générale quelques sujets de portée juridique (même si l’ouvrage, dont ce n’est pas le but premier, est loin d’être exhaustif). Les quelque 300 termes figurant dans le vocabulaire de base permettent de constituer un petit glossaire, dans un sens comme dans l’autre.

Dans tout pays multilingue, les praticiens sont immanquablement confrontés à la langue voisine. Mais ils sont en outre fréquemment appelés à traiter des affaires qui dépassent l’ordre juridique d’un seul État et exigent le recours à une langue étrangère. En Suisse, l’anglais omniprésent doit ainsi être compris et utilisé par nombre de professionnels du droit. Des ouvrages spécifiques existent également pour répondre à cette demande (exemple de manuel destiné aux juristes germanophones : Weston Walsh & Cornelius, 2017).

Reflétant bien évidemment les usages de leur pays respectifs, les trois ouvrages susmentionnés sont accessibles, agréables à consulter et peuvent être utilisés en parallèle non seulement pour répondre à des questions ponctuelles, mais aussi pour se construire un savoir général sur la langue du droit, tout en réfléchissant à la question des (inévitables) interférences entre les langues d’un même ordre juridique ou coexistant dans un même espace : pour les Suisses de langue française, s’informer des calques ou des emprunts provenant de l’anglais ou du néerlandais permet également d’exercer ses réflexes pour prévenir ou repérer les germanismes. Chacun à leur manière, ils invitent à la précision et à la justesse du propos, avec intelligence et humour, rappelant que manier la langue avec justesse a aussi un côté ludique (Gémar & Ho-Thuy, 2016, p. XIX).

Bibliographie
Bocquet, C. (2008). Translation. La traduction juridique – Fondement et méthode. Bruxelles : De Boeck.
Cotta, S. (2015). Ontologie du phénomène juridique. Paris : Dalloz.
Perrin, J.-F. (1997). Sociologie empirique du droit. Bâle : Helbing Lichtenhahn.
Weston Walsh, K., & Cornelius, J. (2017). The legal English manual – Handbook for professional legal language and practical skills (2ème éd.). Bâle : Helbing Lichtenhahn.

1. Une démarche enseignée dès le premier semestre dans les cursus de traduction et qui constitue l’activité principale de l’association Sous la loupe (ancien Fichier français de Berne, qui regroupait à ses débuts des traducteurs francophones de différents services de l’administration fédérale suisse).

DOI 10.17462/para.2018.01.13

21 avril 2018
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