27(1) - 2015

Saldanha, Gabriela & O’Brien, Sharon (2013). Research methodologies in translation studies. London : Routledge

Book review by Daniel Gile

Les objectifs de ce livre sont expliqués au chapitre 1, intitulé Introduction. Saldanha et O’Brien font l’éloge de The Map, de Williams et Chesterman (2002), mais, disent-elles, le besoin s’est fait sentir de disposer d’un livre spécifiquement consacré à la méthodologie de la recherche en traductologie, d’où ce nouvel ouvrage. Quand il a été mis sous presse, celui de Hale and Napier (2013) n’était certainement pas paru, mais on aurait aimé voir au moins une référence à un autre livre consacré spécifiquement à la méthodologie de la recherche en interprétation, Gile et al. (2001), d’autant plus qu’il contient un chapitre qui va dans le même sens et plus loin que Saldanha et O’Brien en matière de lecture critique dans la revue de la littérature (voir plus loin), ou au livre plus récent de Nicodemus et Swabey (2011), sans compter de nombreux articles se focalisant sur la méthodologie de la recherche dans les revues traductologiques, dans la EST Newsletter et sur le site de la European Society for Translation Studies. D’autant plus que les auteurs insistent sur l’importance d’une revue de la littérature systématique dans le travail scientifique.

Dans ce même chapitre premier, Saldanha et O’Brien expliquent qu’elles ont choisi de structurer leur livre en fonction de l’angle de recherche adopté, à savoir l’orientation produit, l’orientation processus, l’orientation participants et l’« orientation contexte ». Or pour toutes ces orientations, certains problèmes se posent dans des termes très similaires, voire identiques (par exemple en ce qui concerne l’échantillonnage, l’analyse des données, l’éthique). On se demande comment les enseignants ou les lecteurs eux-mêmes vont procéder : vont-ils se concentrer sur une orientation après l’autre et se heurter à des répétitions ? Ou ne lire qu’une partie du livre, au risque de ne pas profiter de toute la richesse qui leur est offerte dans d’autres chapitres ? N’aurait-il pas mieux valu poser d’abord les principes et les principaux problèmes communs, pour parler des spécificités propre à chaque type de recherche ensuite ? Il y a bien une ébauche de tronc commun dans le premier chapitre, mais peut-être aurait-il été préférable d’aller plus loin dans ce sens.

Le chapitre 2 présente conceptuellement des éléments d’ontologie et d’épistémologie, puis de classifications et de concepts fondamentaux caractérisant la recherche scientifique : modèles, méthodes, types de recherche, données, validité, etc. Sont introduites des catégories qui ne se situent pas au même niveau conceptuel, certaines très générales (recherche empirique et recherche conceptuelle), d’autres pratiques (échantillonnage aléatoire, ce que doit contenir une revue de la littérature), mais l’ensemble est assez complet et utile.

On note quelques imprécisions. Par exemple, p. 13, les auteurs citent et reprennent à leur compte Chesterman pour qui les méthodes sont intimement liées à la théorie. En réalité, ce lien n’est ni obligatoire, ni fondamental : les méthodes peuvent également être utilisées pour observer, pour mesurer, à titre exploratoire et confirmatoire, sans lien direct avec une théorie. Autre exemple, p. 15, la recherche expérimentale est définie comme intrinsèquement liée à l’exploration d’une causalité, ce qui est faux, puisqu’elle peut aussi être exploratoire et chercher à dégager des régularités ou des corrélations sans aller plus loin. Ces inexactitudes sont fâcheuses dans la présentation de concepts aussi fondamentaux dans la recherche scientifique.

Dans ce même chapitre, les auteurs abordent brièvement le concept de données, font la distinction entre approches qualitatives et quantitatives, parlent de triangulation, puis, plus longuement, de la validité dans son sens scientifique et des facteurs susceptibles de la limiter dans la pratique, puis évoquent très succintement l’échantillonnage et ses différentes formes. Enfin, une discussion substantielle est consacrée à l’éthique, y compris le plagiat et d’autres pratiques malhonnêtes dans la recherche.

Le chapitre 3 est consacré à la recherche orientée produit. Il commence par une introduction intéressante, essentiellement conceptuelle, à la CDA (Critical Discourse Analysis). Dans une autre partie du chapitre, consacrée à la linguistique de corpus, on trouve des éléments pratiques tels que des indications sur la taille du corpus nécessaire à un projet de recherche, ainsi que des exemples d’étiquetage (tagging) de corpus. Ce chapitre comprend également une section sur l’évaluation de la qualité des traductions. Un peu surprenant mais pas illogique, puisque les textes de traduction sont bien un produit de l’acte traductif. Une petite note discordante : p. 103, Saldanha et O’Brien parlent du eye tracking, étude du regard du lecteur, comme mécanisme « pour mesurer la qualité de la traduction ». Elles expliquent que cette méthode permet de mesurer la charge cognitive qui pèse pendant la lecture ; il manque un lien logique entre la constatation d’une lourde charge cognitive et la qualité de la traduction. Des efforts cognitifs importants ne pourraient-ils pas être dûs à la densité ou à la complexité d’un raisonnement exposé dans un texte de bonne qualité ?

Dans le chapitre 4, Saldanha et O’Brien passent à la recherche orientée processus. Comme dans d’autres chapitres, elles soulignent l’importance de l’interdisciplinarité. Elles prêchent aussi en faveur de l’œcuménisme méthodologique, avec notamment une double orientation processus et produit et le recours à des méthodes quantitatives et qualitatives (p. 111). Elles parlent notamment de différents types de montage de projets (design), de manière très globale mais avec des considérations pratiques, de l’analyse des données, de l’introspection, d’autres techniques d’investigation du processus de traduction, y compris celles utilisant des technologies avancées, notamment la pupillométrie. A propos du TAP (s’agit-il vraiment d’une méthode d’introspection à proprement parler ?), Saldanha et O’Brien mentionnent à juste titre le risque que la verbalisation modifie le processus sous observation du fait même de l’observation. Elles citent aussi Ericsson selon qui le contenu verbalisé à voix haute ne correspond pas toujours aux comportements observés.

Le chapitre 5, intitulé participant-oriented research, est consacré à des méthodes relevant essentiellement de la sociologie. Il présente les enquêtes par questionnaires, avec des considérations pratiques et des éléments statistiques, mais sans entrer dans les détails, puis les enquêtes par interviews et focus groups, avec des conseils plus précis, notamment sur les méthodes de collecte de données et sur l’analyse de données qualitatives. La dernière section du chapitre, qui traite de l’analyse des données quantitatives, aborde des techniques complexes, avec des formulations qui manquent parfois de rigueur. Le très important concept d’intervalle de confiance est mal présenté (p. 198). Il en est de même pour le concept de signification statistique. La valeur ‘p’ ne représente pas la probabilité de la survenue de résultats obtenus dans une étude par un effet aléatoire (p. 199), mais la probabilité de faire fausse route si l’on rejette l’hypothèse nulle sur la base de résultats excentrés par rapport à des attentes associées à cette hypothèse, alors qu’en réalité, ces résultats excentrés sont seulement le fait du hasard. On se demande aussi sur quelle base les auteurs disent que dans les sciences ‘dures’, les chercheurs visent un p proche de ou inférieur à 0,01, par opposition, comprend-on, à un p inférieur ou égal à 0,05 dans les sciences sociales et humaines (p. 199), ou que l’analyse de variance est utilisée pour les données nominales (p. 200). Pourquoi des résultats de tests statistiques seraient-ils indispensables pour assurer la « validité » et la « fiabilité » de la recherche (p. 122) ? Le terme « sampling error » ne désigne pas des erreurs dans la procédure d’échantillonnage (p. 153), mais la différence quasiment inévitable entre les valeurs relevées sur un échantillon et les valeurs correspondantes sur la population toute entière. Ces imprécisions semblent résulter non pas d’une méconnaissance du sujet, mais du souhait de mettre le texte à la portée d’étudiants que rebuterait une trop grande technicité. L’intention est louable, mais ne serait-il pas possible d’être plus rigoureux dans l’expression sans être trop technique ?

Dans le chapitre 6, Saldanha et O’Brien abordent les études de cas, ce qui est une bonne idée, car les études de cas ont souvent mauvaise presse pami les chercheurs, alors qu’elles peuvent être très productives, notamment en traductologie.

Le dernier chapitre est consacré au rapport de recherche, sur la base de la structure standard IMRD (Introduction, Materials and Methods, Results, Discussion), avec des conseils pratiques.

Après une bibliographie de 25 pages, un index des concepts avec quelques noms propres (mais tous les noms propres cités dans le livre n’y figurent pas) permet de retrouver des pages et paragraphes sur les mêmes sujets qui sont abordés dans le livre, souvent dans différents chapitres, notamment l’éthique et l’échantillonnage.

Ce n’est pas avec ce livre que l’on apprendra à choisir un thème à explorer, à formuler une bonne question de recherche, à sélectionner une bonne méthode d’investigation, à recueillir des données, à les analyser et à tirer des conclusions. Pour cela, il y a d’autres manuels, souvent extérieurs à la traductologie, des articles, des textes sur la toile, mais surtout les enseignants qui pourront accompagner le jeune chercheur.

Ce livre est néanmoins d’une grande richesse. Dans chaque chapitre, Saldanha et O’Brien font des observations pratiques, utiles, souvent importantes, que l’on ne trouve que rarement dans la littérature : la revue de la littérature est une méthode « systématique, explicite et reproductible » (p. 19) pour explorer les travaux existants sur un sujet que l’on va traiter ; elle doit être menée ‘scientifiquement’, dans un esprit critique (p. 20), pour que la qualité scientifique de l’étude soit assurée ; le chercheur doit bien documenter son travail de recherche (p. 76) ; il faut trouver le bon équilibre entre des catégorisations très fines et leur applicabilité pratique (p. 98) ; classer peut être difficile (p. 101) ; ce qui est réalisable avec des ressources limitées, notamment en ce qui concerne la taille des échantillons utilisés (p. 105) ou le nombre d’évaluateurs requis pour réaliser une évaluation intersubjective de bonne qualité (p. 106), est parfois loin de l’idéal. Sont également évoqués la triangulation (p. 109), le codage des catégories de données recueillies dans des études empiriques (p. 130), la nécessité de prévoir des fontes de taille suffisante pour assurer une bonne fiabilité aux études de eye tracking (p. 140), de prévoir des questionnaires courts pour augmenter le taux de réponses complètes (p. 154), l’utilité des phases pilotes (p. 158)… Saldanha et O‘Brien soulignent aussi que les questions de recherche n’ont pas obligatoirement la forme d’une hypothèse (contrairement à ce que pensent de nombreux débutants qui ont été formés essentiellement à la méthode expérimentale en psychologie).

Elles relèvent aussi des faiblesses dans la recherche traductologique actuelle. Par exemple, dans le chapitre sur la recherche orientée processus, elle soulignent à juste titre que le concept d’expert, emprunté à la psychologie cognitive, est parfois employé de manière impropre en traductologie, où sont considérés comme des experts des traducteurs expérimentés. Or, la seule expérience n’implique pas l’expertise au sens psychologique (p. 115). Elles parlent aussi de la tendance de certains auteurs à affirmer l’existence d’une différence « significative » sans une analyse statistique digne de ce nom qui justifierait cette affirmation (p. 121). Elles sont également critiques, peut-être à l’excès, en ce qui concerne la qualité des études par questionnaires réalisées en traductologie (p. 151).

Tous ces commentaires, tous ces conseils, de même que l’attitude générale des auteurs, empreinte de modestie, de réalisme et d’un esprit ouvert, font de ce livre une ressource précieuse pour les chercheurs débutants et pour les formateurs de ces étudiants, qui pourront leur recommander des lectures ciblées. Quant aux erreurs et approximations, elles pourront aisément être corrigées dans une nouvelle édition de l’ouvrage.

Bibliographie

Gile, D., Dam, H., Dubslaff, F., Martinsen, B. & Schjoldager, A. (dir.). (2001). Getting started in interpreting research. Amsterdam : Benjamins.

Hale, S. & Napier, J. (2013). Research methods in interpreting. London : Bloomsbury.

Nicodemus, B. & Swabey, L. (dir.). (2011). Advances in interpreting research. Amsterdam : Benjamins.

Williams, J. & Chesterman, A. (2002). The map : A beginner’s guide to doing research in translation studies. Manchester : St. Jerome.

April 22, 2015
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